Une nouvelle Tosca à l'Opéra Bastille...

Arrivé largement en avance, on a eu le temps de feuilleter avant le spectacle le programme, soigné et opulent comme il est devenu de rigueur à l’Opéra de Paris. Surprise : un important texte central en est consacré non point à l’œuvre, pour l’éclairer ou y ouvrir des pistes, mais à Mr Pierre Audi, qui la met en scène. C’est inhabituel, pour ne pas dire exorbitant, Mr Audi se trouvant largement traité, en fin de programme, selon l’usage, parmi les autres artisans du spectacle, et après le responsable musical en chef, comme la hiérarchie le veut. D’où notre attente, ayant pu, comme tout Parisien, apprécier le travail de Mr Audi au Théâtre des Champs-Elysées, dans du baroque notamment. D’où aussi notre surprise redoublée,  voyant le travail scénique au I. Rien, mais rien de rien : l’opéra de papa, et même grand-papa, aux années 60, quand (dit-on) on ne mettait pas en scène.

Floria Tosca porte la robe qu’on a pu voir à Paris à Tebaldi, à Vienne à Jurinac, — à ceci près que ces grandes dames, alors, de par leur culture d’opéra, savaient quoi faire avec. Pas Martina Serafin, qui appartient à un autre âge scénique. Le décor prenant toute la place (il semble que le premier souci du metteur en scène à Bastille est d’occuper l’espace, de le meubler ; advienne ensuite que pourra) les protagonistes n’ont plus qu’à se mouvoir, largués, livrés à eux-mêmes. D’où les gestes de bras, sémaphoriques, non dirigés (qui ne s’adressent nulle part, ne signifient rien, sinon l’embarras du chanteur sans directives). On connaît Martina Serafin, on l’a entendue en d’autres circonstances, Maréchale, Sieglinde et même Tosca, on la sait actrice. Alors, à ce point, perdue ?

La même brochure nous laisse entendre, ailleurs, sur quoi la mise en scène se propose de nous faire réfléchir : « la force du rituel, la représentation du pouvoir, le poids —extériorisé ou intériorisé — que la religion fait peser sur le monde ». Vaste programme. On se dit que Victorien Sardou, premier père de Tosca, aurait été bien étonné de voir l’argument de son mélo amplifié à ces enjeux suprêmes. Que les metteurs en scène fassent donc leur travail, celui dont eux seuls sont capables et pour lesquels ils sont si bien payés : nous montrer des personnages, mettre de la tension dans l’action scénique. Pour ce qui est des idées, citoyens responsables que nous sommes supposés être, à nous de les trouver, en réfléchissant à ce qu’on nous a montré. Ce n’est pas à nous qu’il faut donner des directives. C’est aux chanteurs.

C’est que tension scénique il n’y a pas eu tant que ça. Au I ça se comprend. Ce n’est rien d’autre qu’une vaste exposition composite, pour mettre en place les pièces du puzzle, et ça finit par peser sur la suite du spectacle (comme le I de Carmen, et pour les mêmes raisons). Mais même au II, supposé être merveille de vérisme serré, haletant, comme un feuilleton polar ou crime.  Qu’il soit lui aussi succession de pièces et morceaux (dont la Cantate qu’on sait, off stage, et la torture, elle aussi off stage), ne trouvant tension que lorsqu’arrive enfin l’empoignade Tosca/Scarpia, la mise en scène l’a montré, là, avec une sorte d’innocence dont on lui sait gré. Un volume traîne près de la méridienne où il arrive que Scarpia s’asseye. Eh bien à un moment (on torture l’autre, off stage, des cris nous sont parvenus, moins vrillants qu’il n’est habituel), le voilà qui prend son volume et l’ouvre, c’est un Hetzel à couverture polychrome, ça pourrait être un Jules Verne, d’un air de se dire que ça traîne, qu’il trouve le temps long. Et je me trouve alors, moi spectateur, étrangement mis en abyme dans ma fonction de spectateur par ce geste de Scarpia, qui me fait me dire que moi aussi je trouve le temps long. S’embêter au II de Tosca ? Décidément nous en avions à apprendre…

Il faut dire que Ludovic Tézier, excusé par une annonce, avec toute la belle et bonne voix du monde, n’est pas par nature un Scarpia. Pourtant sa diction projette, il y met du mordant, noircit autant qu’il faut, il se donne un petit air Pierre Renoir qui ne messied pas au rôle, et il pourrait le devenir : encore faudrait-il qu’on l’habille en Scarpia. Ce maillot, ces bas, ton sur ton, cette neutralité atone, cet effacement… on dirait un geôlier de La Chartreuse de Parme ou un employé de bureau. Est-ce sa faute ?

Ce n’est pas la faute de Martina Serafin non plus si la tenue simili Borghèse (robe et étole également ton sur ton) qu’on lui colle alourdit sa silhouette et empêtre sa démarche. Elle déploie dans l’espace de Bastille cette merveille devenue rarissime, un timbre, dans sa blondeur et son charme, sa vibration jeune et joyeuse, faite pour le bonheur et le chant. À mi duo, elle est entrée dans Non la sospiri avec une grâce murmurée caressante et câline, puis dans Vissi d’arte avec une mi-voix intense qui sont parmi les plus belles choses vocales que ce lieu ingrat aux voix ait entendues en ce siècle. À pleine voix d’ailleurs dans son empoignade, dramatiquement claironnante quand il faut. Performance complète, qui aurait mérité diadème plus seyant, et ovation à part. Il faut dire qu’Oren au pupitre était pour beaucoup dans sa capacité de chanter ainsi piano, et suggestif ! Marcelo Alvarez en voix opulente n’a pas durci ses aigus, non : mais il y a davantage d’effort visible dans le fait de devoir les sortir, superbes comme ils sortent.

Comment n’aurait-on pas un étrange sentiment au sortir d’une soirée où l’on s’est aperçu que l’œuvre présentée est moins bonne qu’on avait pu croire jusqu’alors ?  Cette nouvelle production, qui sera jouée une vingtaine de fois d’ici fin novembre, prend la place d’à la fois La Wally et Andrea Chénier initialement programmés, récupérant pour sa première distribution les trois stars engagées pour ce dernier. Elles ne la chantent ensemble que les premières cinq ou six fois. Qu’on se le dise !

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